J’ai appris la fermeture du Cégep en jetant un œil à mon téléphone. J’ai reçu la nouvelle avec un immense soulagement. La semaine de relâche était sur le point de commencer, mais je sentais bien qu’une semaine n’allait pas suffire. J’étais épuisé. Début mars, j’avais du mal à trouver le sommeil et il y avait des moments où je perdais complètement le fil de ce que racontait le prof à l’avant de la classe. La fatigue s’accumulait depuis longtemps. Les quelques soirs où je travaillais comme serveur était devenus des épreuves insurmontables. J’avais laissé tomber la course, puis le peu de vie sociale qui me restait. Je suis doté d’une très grande capacité d’adaptation, mais au cours des dernières années, j’ai poussé cette faculté jusqu’à ses dernières limites.
Le soulagement (et peut-être l’excitation de la nouveauté des événements) a peu à peu fait place à la révolte. Les premières consignes des profs étaient de poursuivre comme si de rien n’était. Charge de travail, dates de remises, rien n’allait être modifié. Il faudrait finir le cours en autodidacte alors que nous commencions à peine à apprendre des choses utiles. Il faudrait finir notre film quel qu’en soit le prix. En retournant aux études, j’avais accepté de jouer le jeu. Mettre de côté tout ce que j’avais fait avant, démontrer mon humilité. Mais le programme en lui-même m’a désappointé. Je réalise que j’ai besoin de plus de créativité, de réflexion, de profondeur. Et j’ai toujours cette envie d’être utile, de participer à ma communauté, à ce qui se passe dans la société. J’ai l’impression que ce programme de formation vise d’abord à former des exécutants sur des pipelines de production, qui ne posent pas de question et qui sont prêts à tout donner à leur employeur. L’effort demandé dépassait ma volonté. Je n’allais pas sacrifier ma santé pour cet objectif…
Au fil du temps, les consignes ont changé, les remises sont devenues facultatives. Comme tous le monde, les profs ont pris la mesure des événements. Un courriel nous a annoncé que le gala des finissant était annulé. Tristesse. L’incertitude s’est déployée sur les prochains mois. Puis, après plusieurs jours à paresser les yeux rivés sur les nouvelles, l’envie de dessiner est réapparue là où je ne l’attendais plus, dans ces interstices de liberté qui se sont lentement élargis. J’ai d’abord fait du classement dans mon portfolio. J’ai suivi des tutoriels d’animation. Et lentement, je me suis remis à certaines scènes du film. Mais après avoir goûté à cette liberté, il m’est difficile de m’astreindre à travailler plus que quelques heures à la fois sur ce projet.

L’avenir demeure incertain. Qu’adviendra-t-il de cette cohorte qui ne sera pas présentée officiellement à l’industrie? Le secteur de l’animation qui était florissant au Québec aura-t-il toujours des postes à combler si la pandémie est suivie d’une crise économique? L’incertitude est totale. Mais les certitudes ne sont-elles pas toujours illusoires ? Je suis conscient de mes privilèges. Je ne suis pas confiné dans une maison de campagne comme Leïla Slimani, mais j’ai la chance d’être confiné dans un appartement que j’aime. Je me suis équipé pour travailler de chez moi juste au bon moment. Je suis endetté, mais j’ai de quoi vivre jusqu’à la fin mai et peut-être au-delà. S’il le faut, je me ferai engager dans un hôpital (où il y aura toujours du travail) ou je retournerai travailler comme serveur au Centre Bell. Et je garderai tout ce qu’il faut pour dessiner dans mes moments de liberté.
C’est très encourageant comme texte. Je pense qu’on a tous un peu vécu le sentiment de révolte face aux décisions des profs, je pense que je les ai détestés pendant un moment.
Je ne sais pas ce qui va advenir de nous. Je sais juste que je suis frustrée contre toute cette industrie qui m’a volée de ma santé mentale et de ma vie sociale pendant trois ans, et qui en plus se dérobe sous mes pieds. C’est un temps… bizarre.
Tu as des mots très justes je trouve, et je suis contente que tu aies retrouvé l’envie de dessiner ! Ton cycle est magnifique